CHAPITRE 1 : UNE DISTINCTION FONDAMENTALE

Il existe une différence fondamentale entre le chanvre industriel et le chanvre psychotrope*. Le mot industriel a rapidement été adopté afin de bien distinguer le chanvre à usage utilitaire de celui employé pour ses propriétés psychotropes. John Roulac, auteur des livres Industrial Hemp et Hemp Horizon, a été un des premiers à utiliser ce terme, au milieu des années 1990. À cette époque, il apparaissait nécessaire de distinguer les différents types de cannabis. Encore méconnue, la plante souffrait d’une mauvaise réputation en raison des variétés qui se fument pour obtenir un effet d’euphorie. Au Québec, on les appelle communément : pot, mari, herbe, weed, etc. Les expressions chanvre psychotrope ou simplement psychotrope seront utilisées ici quand on fera référence à ces variétés.

La même plante, différentes variétés

Il est important de saisir que les mots chanvre et cannabis sont des synonymes, et ce, malgré la croyance populaire. Vouloir différencier la drogue en l’appelant cannabis est donc une erreur; chanvre est simplement le nom français, et cannabis, le nom latin. De même qu’en anglais on appelle cette plante hemp, Hanf en allemand, cañamo en espagnol et ainsi de suite. Tous ces mots renvoient à la même plante, qu’elle soit psychotrope ou non. Mais il semble cependant que de nombreuses cultures à travers le monde ont des mots différents pour désigner les variétés psychotropes ou industrielles. Cela semble assez répandu.

le mot chanvre à travers le monde en différentes langues

Le mot chanvre à travers le monde – Source : Caneve

Ce sont les variétés qui diffèrent. Le chanvre psychotrope contient un stupéfiant qui provoque plusieurs effets sur le métabolisme, ceux-ci étant caractérisés par une modification du psychisme et du comportement de l’individu qui le consomme. Le but de cet ouvrage étant de faire connaître le chanvre industriel, nous n’aborderons pas le sujet des effets du psychotrope.

Cependant, il faut savoir que le principal élément psychoactif du cannabis s’appelle delta-9-tétrahydrocannabinol, ou THC. Le THC est un des nombreux phytocannabinoïdes* qui se retrouvent dans la plante à divers pourcentages selon la variété. Une étude parue en 2007 ne recensait pas moins de 66 différents types de phytocannabinoïdes[1] et on en identifie de nouveaux chaque année. Certains chercheurs avancent même qu’il pourrait y en avoir plus d’une centaine. Peu d’entre eux peuvent être considérés comme des psychotropes, mais plusieurs ont des effets sur le métabolisme sans nécessairement provoquer l’euphorie, tel le cannabidiol (CBD).

Le THC

Le THC est LE phytocannabinoïde qui jouit de la réputation de mauvais garçon, et c’est lui qu’on mesure afin de reconnaître les variétés de chanvre industriel. Le Canada et la plupart des pays qui autorisent la culture du chanvre industriel ont établi un taux de THC pour les cultivars* oscillant aux alentours de 0,3 %. Autrement dit, tant que ce taux se situe sous 0,3 %, la plante n’est pas considérée comme une drogue.

Les agriculteurs ayant obtenu une licence de culture peuvent utiliser l’un des 51 cultivars de chanvre industriel approuvés en 2018 par Santé Canada, mais ils doivent parfois soumettre leurs productions à deux analyses par saison. Ces analyses, réalisées par un « laboratoire compétent », servent à démontrer que les plants de chanvre ont des taux de THC réglementaires, faute de quoi la récolte peut être saisie et détruite. Certains cultivars utilisés par les producteurs québécois respectent amplement la norme imposée; certains n’ont que 0,005 % de THC. Pour donner une idée de l’ampleur de la différence, précisons que le chanvre psychotrope contient des taux qui peuvent dépasser les 20 %.

Deux cultures distinctes

Avant l’entrée en vigueur de la loi sur le chanvre récréatif, les agriculteurs, et même quiconque entrant en contact avec la plante ou la graine viable, devaient montrer patte blanche en matière de stupéfiants. Ils devaient fournir un document issu d’un corps policier attestant qu’ils n’avaient aucun casier judiciaire relié à la drogue. Cette exigence de Santé Canada semble avoir été abandonnée depuis que le psychotrope est devenu légal. De plus, le fermier doit fournir aux autorités les coordonnées GPS de son champ et celui-ci ne doit pas être situé à moins d’un kilomètre d’un parc pour enfants ou d’une école.

Même s’il a été légalisé en 1998, on voit bien que le chanvre industriel est resté associé à un problème de sécurité publique. Il existe pourtant d’importantes différences entre le fermier de chanvre industriel et le fermier de « pot ». Alors que le premier veut les grandes fibres ou les graines, le second veut les fleurs, qu’on appelle familièrement cocottes, car c’est là que se trouve la plus grande concentration de THC. Le fermier de chanvre industriel laisse pousser ses plants très hauts pour produire de grandes tiges qui ont peu de branches, ou alors il les sème afin d’optimiser la production de graines. Celui qui cultive le psychotrope fait pousser la plante de la même façon qu’on fait pousser des tomates, et ce, afin d’obtenir un rendement maximal de fleurs.

En agriculture

Un agriculteur de chanvre industriel s’occupe d’un champ comme d’un tout, alors qu’un producteur de psychotrope veille plutôt à sa récolte plant par plant. Parmi les critères de Santé Canada pour obtenir une licence de culture, un producteur de chanvre industriel doit exploiter un minimum de quatre hectares pour se qualifier. Cela représente environ sept terrains de football américain. La production de psychotrope est difficile à envisager à cette échelle pour le moment, mais peut-être qu’un jour, il sera lui aussi cultivé sur des superficies aussi vastes.

Contrairement à ce que certains pensent, il est impossible de dissimuler des plants de chanvre psychotrope au milieu d’un champ de chanvre industriel. Le chanvre industriel est une plante à tige fine qui peut atteindre une bonne hauteur dans des conditions favorables. Pour cette raison, il doit être semé de façon si dense que les plants empêcheront quiconque de se déplacer à travers le champ sans laisser une trace de son passage, ce qui rend la dissimulation difficile. De plus, des plants de chanvre psychotrope entourés de chanvre industriel seront submergés par le pollen de l’autre variété. La pollinisation croisée des deux variétés affectera la teneur en THC du psychotrope et il finira par devenir inutilisable comme drogue.

Des différences

Le chanvre, dans son état naturel, est dioïque*, c’est-à-dire qu’il est constitué d’un pied mâle et d’un pied femelle séparés. Les producteurs de psychotrope ne conservent que les pieds femelles, car ceux-ci possèdent les fameuses propriétés psychoactives. Cette pratique en amène plusieurs à croire que le chanvre industriel ne serait constitué que de pieds mâles. Puisqu’ils sont réputés inutiles comme drogue, on pense alors qu’ils servent à la production de fibres. Or c’est faux. Les plants mâles meurent peu après avoir relâché leur pollen, ce qui les rend inutilisable.

De plus, il serait difficile, voire impossible, de faire une récolte sélective sans risquer d’endommager les plants femelles. Ceux-ci doivent continuer de croître encore plusieurs semaines après avoir été fécondés. Sur plus de quatre hectares de culture, l’affaire n’est pas simple. Les sélectionneurs ont créé des cultivars adaptés afin d’optimiser la plante pour l’agriculture à grande échelle. Mais pour l’instant, laissons cela de côté; nous reviendrons sur la physionomie et la culture du chanvre au chapitre 3.

Il est vrai que les deux types de chanvre, le psychotrope et le chanvre industriel, se ressemblent à s’y méprendre. On constate par exemple qu’ils ont la même odeur et que les feuilles et les fleurs ont la même allure. Seule l’analyse en laboratoire permet de s’assurer hors de tout doute du taux de THC. Il nous semble normal et compréhensible que les autorités entretiennent encore une certaine méfiance envers le chanvre industriel. Avec la légalisation du chanvre récréatif, il est probable que cette méfiance s’estompera avec le temps. Plus la plante sera connue, moins on en aura peur!

[1] Brenneisen, Rudolf, Marijuana and the Cannabinoids. Totowa. New Jersey : Humana Press Inc., 2007, p. 17.

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